Procès de Jeanne d’Arc Délibération des avocats d’église

Onze avocats de la Cour de Rouen, les uns licenciés en droit canon, les autres en droit civil, les autres de l'un et autres droits, délibérèrent de la manière qui suit, ainsi qu'il apparait dans un acte rédigé sur ce. Voici leur nom : Guillaume De Livet, Pierre Carrel, Guerould Poustel, Geoffroy Du Crotay, Richard des Saulx, Bureau de Cormeilles, Jean Le Doulx, Laurent du Busc, Jean Colombel, Raoul Anguy, Jean Le Tavernier, s'ensuit la teneur de cet acte :
"Au nom du Seigneur, amen. Sachent tous ceux qui verront ce présent acte public que, l'an du Seigneur 1431, indiction 9, le dernier jour du mois d'avril, la quatorzième armée du pontificat de notre très saint Père en Christ, notre seigneur Martin, par la divine Providence cinquième du nom; dans la chapelle ou oratoire du manoir archiépiscopal de Rouen se trouvèrent réunis vénérables et discrètes personnes les avocats de la cour archiépiscopale de Rouen, au nombre de onze, dont les noms et surnoms n'ont pas été déclarés dans ce présent acte. Ces personnes savantes en droit, avaient été requises, sous les peines de droit, par révérend père en Christ et seigneur, Monseigneur Pierre, par la grâce de Dieu évêque de Beauvais, et par religieuse personne frère Jean, vicaire du seigneur inquisiteur, afin de délibérer sur certains articles que les seigneurs juges avaient envoyées aux dits avocats, pour qu'ils baillassent par écrit leurs propres délibérations aux dits seigneurs juges avant le lundi suivant, ainsi que tout cela est contenu dans certaine cédule de papier, signée des seings manuels de Guillaume Colles, autrement dit Boisguillaume, et de Guillaume Manchon, prêtre, notaires publics. En ma présence, notaire public, en celle des témoins souscrits, spécialement appelés et requis, lesdits seigneurs avocats se réunirent; car ils étaient prêts à obéir, de tout leur pouvoir, aux commandements de messeigneurs les juges, ne tenant pas à encourir les peines de droit. Mais en vrai fils d'obédience, d'un consentement unanime et d'une seule volonté, suivant les moyens et forme ci-dessous déclarés, ils délibérèrent ainsi :
Sous la bienveillante correction de nos pères et seigneurs, messeigneurs les juges, et de tous autres à qui il appartient, bien que dans une matière aussi ardue et aussi importante que celle qui concerne les articles que vos grandeurs nous ont transmis, nous ne puissions dire et vous bailler en écrit que peu de chose, ou rien, cependant, sous les protestations qu'on a coutume de faire en une telle matière, il nous semble qu'il y a ceci à dire.
Premièrement, en ce qui touche les révélations mentionnées dans lesdits articles, bien qu'il se puisse que les prétentions de cette femme, au sujet de ces articles, soient possibles en Dieu, cependant il n'y a pas lieu de croire cette femme, puisqu'elle n'a pas fortifié ses dires en opérant des miracles ou par le témoignage de la sainte Écriture. Item, en ce qui concerne le rejet de l'habit féminin et le refus de reprendre ledit habit, il semble qu'elle a agi contre l'honneur du sexe de la femme; item qu'elle peut être admonestée d'avoir à reprendre l'habit féminin, autrement il peut être porté contre elle sentence d'excommunication, si elle n'en a pas eu commandement de par Dieu : ce, qui n'est pas à présumer. Item, quand elle dit qu'elle aime mieux être privée du sacrement de communion du Christ, au temps où les fidèles ont accoutumé de communier, que d'abandonner l'habit d'homme, sur ce point-là, à ce qu'il semble, elle va expressément contre les saintes obligations, puisque chaque chrétien est tenu une fois l'an de recevoir le sacrement d'eucharistie. Item, quand elle ne veut pas se soumettre au jugement de l'Église militante, il semble qu'elle contrevient à l'article de la foi : Unam sanctam et au jugement du droit. Tout cela, nous l'entendons toujours, comme nous l'avons dit et déclaré, à moins que ses révélations et assertions viendraient de Dieu, ce qui n'est pas vraisemblablement croyable. Toutefois, pour apprécier et qualifier ces propositions, et d'autres relatées au procès et dans les articles, nous nous en rapportons au jugement de messeigneurs les théologiens de notre chère mère l'Université de Paris, à qui il appartient plus convenablement, de par leur science, de les juger.
Sur tous ces points et sur chacun d'eux, les dits seigneurs avocats réunis au nombre de onze, dont j'ai retenu les noms par devers en tant que notaire public, me demandèrent à moi, notaire public, de faire faire et établir un procès-verbal officiel, en une ou plusieurs copies. Ceci fut fait dans ladite chapelle, à heure matinale, l'an, indiction, mois, jour et pontificat susdits, en présence de discrètes personnes maîtres Pierre Cauchon et Simon Davy, prêtres, notaires jurés de ladite cour archiépiscopale de Rouen, témoins appelés et requis spécialement.
Et moi, Guillaume Lecras, prêtre du diocèse de Rouen, notaire public de la cour archiépiscopale de Rouen par autorité apostolique et impériale, examinateur député des témoins, j'ai été présent avec lesdits témoins, à toutes et à chacune des choses que firent et dirent lesdits maîtres avocats, ainsi qu'il a été rapporté, au lieu, jour et heure susdits; je les ai vus et ouïs quand il les firent et délibérèrent et j'en ai pris note. C'est pourquoi à ce présent acte public, écrit de ma main, j'ai apposé mon seing habituel, et je l'ai souscrit ici, requis et juré, en témoignage de la vérité des choses dessus dites."
Ainsi signé : G.LECRAS