Paru dans le journal communal de Cambes N° 21 de mars 1997 - Auteur de cette page d’histoire : Mme Marie DESCHAMPS
Institutrice (maître d’application) et fille de la cuisinière qui travaillait au château
Un château niché dans un grand parc, près de l'église
Un château qu'on ne voyait pas de la route de Caen à la Délivrande.
Un château qu'une longue avenue partant de la Bijude, plantée, de chaque coté, d'une double rangée d'ormes, nous en montrait le chemin.
Un château qui émergeait du paysage verdoyant au fur et à mesure que nous avancions.
Un château dont la grille de fer forgé, toujours ouverte, flanqué de douves en marquait l'entrée.
C'est là que nous nous arrêtions.
Ce n'était pas un château prétentieux. Il était là, calme et serein, tout en largeur, sans tours ni tourelles, avec un seul étage dans sa partie centrale et deux étages dans ses parties latérales.
Il reposait là, au milieu d'un parc merveilleux entouré d'un mur discret qui courait vers Mathieu, revenait vers la route de Villons, pour redescendre vers l'église, traverser le Bourget repartir vers la gare.
Ce château que nous aimions et qui a disparu après 1944.
C'était le château de Cambes.
Venez avec moi,
Franchissons la grille, prenons l'allée de droite, l'allée d'honneur, celle des invités, enfonçons nous sous les grands arbres. Il fait sombre ... continuons ... continuons ... nous arrivons en pleine lumière ... Une immense pelouse, des massifs, des rampes fleuris de chaque coté de la véranda : c'est la façade du château.
Entrons dans la véranda qui enjambe un fossé et nous nous trouvons directement au premier étage, au centre du château. Avançons vers le grand salon où nous sommes attendus par la famille de Colombel.
C'est là que vivaient Monsieur de Colombel, officier en retraite et Madame entourés de leurs filles alors étudiantes. Leurs fils Eric et Ivan, leurs neveux, tous militaires de carrière, revenaient au château à chaque permission.
Ils y menaient une vie très simple, rythmée par les réunions de famille, les fêtes religieuses et patriotiques, tout en respectant les traditions de leurs ancêtres.
Chaque enfant avait sa tâche dans l'exploitation agricole dont la superficie augmentait au fur et à mesure du déboisement du parc.
C'était une famille très unie dont "Madame" était l'âme.
Sa distinction mais aussi sa simplicité, sa bonté, son courage, l'attention qu'elle savait porter à autrui rayonnaient et éclairaient non seulement les siens mais tous ceux qui travaillaient au château.
Je la remercie d'avoir permis que nous puissions vivre au château ou y passer des vacances près de nos parents. C'est avec beaucoup d'émotion que je revis ces souvenirs d'enfance.
Et maintenant promenons nous dans le parc.
Il est si beau, il est si grand, on y est si bien.
Vous pouvez courir sans crier, car la c’est la règle, vous perdre au détour des allées, cela n’a pas d’importance, vous ne risquez pas de vous échapper.
Vous ne pourrez sortir par la porte de Villons : elle est toujours fermée. Celle des marronniers, près du Colombier est souvent ouverte, mais attention, on vous verrait et vous n’iriez pas loin. Si vous ne voulez pas être vus … venez avec moi, je connais une petite porte, dissimulée dans les taillis, prés de l’église. Poussez. Là… nous arrivons près des tombeaux de la famille Valori, les parents de Madame de Colombel.
Voyez en face, l’entrée privée de l’église réservée aux habitants du château. Si j’en avais la clef, vous seriez bien surpris de monter l’escalier et d’arriver à la tribune qui domine l’intérieur de l’église.
L'angélus vient de sonner midi.
La cloche du château a tinté annonçant que "Madame est servie" et qu'il faut passer à table.
Revenons sur nos pas car c'est le moment de nous diriger vers la cuisine si nous voulons faire connaissance avec le personnel de service.
Ils sont tous là, assis autour d'une grande table massive.
Je vais vous les présenter.
Voici Elsa, une alsacienne qui rira bien avec vous et qui chantera "le vieux coq de France de la cathédrale de Strasbourg" : c'est la femme de chambre. Elle est délicieuse avec les enfants et pédagogue sans le savoir. Elle a chanté notre jeunesse.
Voici, Maria venue de l'Orne : c'est elle qui s'occupe de la ferme. Elle trait les vaches, tourne l'écrémeuse, fait le beurre chaque jeudi, dans une grande baratte. Elle est heureuse de vous ouvrir la porte de "sa" laiterie et de vous montrer le beurre qu'elle a moulé en plaquettes marquées au nom du "Château" de Cambes et qu'elle portera au marché de Caen.
Voici Victorine la cuisinière : c'est ici son domaine, prés du grand fourneau où mijotent des plats simples et bons, dans des casseroles en cuivre. C'est "Madame qui prépare le menu, avec elle, chaque matin. Ne la dérangeons pas car c'est l'heure du repas et elle est très affairée.
Voici Charles, le jardinier, qui apporte, chaque jour, à la cuisine un plein panier des plus beaux légumes du jardin. Il y cache souvent une petite fleur pour sa femme Victorine.
Avec lui nous visiterons le jardin et nous apprendrons beaucoup de choses.
Et voici le jeune André, le complice des enfants qui a bien envie de jouer avec vous.
Dites bonjour à Joseph et à Émilie et au revoir à tous.
Laissons-les en famille.
C'est vrai qu'ils savaient vivre ensemble, simplement, sans problèmes, chacun respectant l'autre, unis par une grande solidarité.
Marie DESCHAMPS
Dessin de Charles Decaen, maire de Cambes en Plaine de 1965 à 2001
Le Château disparu